Mélissa Laveaux sort son troisième album, Radyo Siwèl, un album hommage au patrimoine haïtien, son premier chanté exclusivement en créole.
Photos : Romain Staros Staropoli
Avec Radyo Siwèl, Mélissa Laveaux fait un nouveau pas en avant, armée de l’envie de se réinventer en musique. C’est aussi un pas de côté, un pas de retrait(e) vers son passé, puisqu’elle revient sur l’histoire de la terre qui vit naître ses parents : Haïti. Un passé lointain, un passé dont il ne reste que des bribes, presque effacées et pourtant si présentes.
D’où le nom de « Radyo », parce qu’il y a cette idée de transmission qui peut se perdre : on retrouve certaines choses, d’autres ont disparu, et celles qui ont disparu laissent toute la place pour en réinventer d’autres. Siwèl, pour le lien avec les morceaux de poésie populaires haïtienne que jouaient en acoustique les Bann’ na Siwèl, ou orchestre de troubadours. Ces morceaux folkloriques véhiculent l’histoire et l’identité d’un peuple dont la résistance est la seconde nature.
« Il y a des morceaux où je n’avais pas la mélodie, donc je suis allée prendre différents bouts de mon enfance, différents souvenirs, et de ça sortaient les idées. »
À l’écoute du disque on ne peut pas dire qu’on soit vraiment dans le style troubadour, tant la Canadienne revisite le répertoire haïtien à sa manière, avec son interprétation, son histoire et son énergie unique. « Il y a des morceaux où je n’avais pas la mélodie, donc je suis allée prendre différents bouts de mon enfance, différents souvenirs, et de ça sortaient les idées. » Le tout, sublimé par les arrangements du trio A.L.B.E.R.T. qui avait aussi fait merveille en réalisant l’album d’Oumou Sangaré. Sans oublier Drew Gonsalves, l’un des piliers du groupe Kobo Town, qui ajoute à certains morceaux un brin de la verve qu’il destine habituellement au calypso.
L’appropriation de ses racines
Mélissa Laveaux est née à Montréal et a grandi à Ottawa. Ses parents ont quitté Haïti à l’âge de 18 ans, et ils sont restés au Canada. « Ils avaient quitté l’île parce que, quand ils étaient étudiants, des amis à eux qui étaient militants se sont fait tuer. C’était sous le régime de Papa Doc (François Duvalier). Mon père est parti le premier, puis il a réuni des sous pour sponsoriser le voyage de ma mère qui l’a rejoint au Canada ».
Élevée dans une ville anglophone, ses parents ne lui ont pas vraiment appris le créole. Elle a grandi avec le hip-hop, les musiques électroniques, les musiques brésiliennes mais n’écoutait finalement que très peu de musique haïtienne (à part quand ses parents faisaient de grandes fêtes où l’on dansait sur du konpa). Mais il y avait pourtant ce disque de Martha Jean-Claude, l’une des premières voix féminines dont elle se souvienne. « Je ne serais pas devenue chanteuse si je ne m’étais pas souvenue de sa voix : elle a un grain particulier. Martha Jean-Claude c’est comme une sorte de ligne directrice. Dans mon premier album, Camphor & Copper, j’avais déjà chanté une de ses chansons (ndlr : « Dodo Titit ».)
Retour en Haïti
C’est en Avril 2016 que Mélissa Laveaux part pour Haïti, vingt ans après ces dernières vacances passées dans la région du Cap Haïtien. D’Haïti, elle ne connaît que les expressions créoles imagées que sa mère échange au téléphone avec ses tantes, lorsqu’elles se racontent les zins, les derniers potins.
On lui confie des enregistrements, des cahiers, on lui indique des témoins… autant de morceaux d’une mémoire éparpillée, et pourtant si vivante. Ces vieilles chansons, sans cesse réinventées, ont accompagné la longue et tortueuse histoire d’Haïti. Un épisode particulier de cette histoire intéresse Mélissa : l’occupation de l’île par les Etats-Unis, de 1915 à 1934.
Elle rentre avec des sons, des mélodies, des ambiances et des histoires… Autant de couleurs d’un tableau qui lui donne libre champ pour composer. Et c’est bien ce dont il est question dans Radyo Siwèl. Une re-création à partir de bribes, de phrases, d’airs anciens, d’hymnes vaudous, assemblés comme un patchwork identitaire au gré de l’imaginaire de Mélissa. Libre de les draper de son énergie rock, de guitares nerveuses et profondes, et de leur donner vie sous le voile singulier de sa voix.
« Quand tu es réfugié personne n’a besoin de connaître ton passé, de savoir d’où tu viens. Tu peux te construire un autre passé, pour donner forme à ce que tu veux voir advenir après. C’était ça ma liberté : choisir des éléments, les façonner ensemble, pour raconter une histoire. »
Dans Radyo Siwèl il y a en effet et l’histoire d’Haïti, et sa recréation par celle qui ne l’a connue pour ainsi dire qu’à travers le regard et les récits de ses parents exilés ; « Quand tu es réfugié personne n’a besoin de connaître ton passé, de savoir d’où tu viens. Tu peux te construire un autre passé, pour donner forme à ce que tu veux voir advenir après. C’était ça ma liberté : choisir des éléments, les façonner ensemble, pour raconter une histoire. Comme la biographie imaginaire d’une personne : on se dit qu’elle aurait pu avoir telle conversation, qu’elle aurait pu dire cela… Et c’est ainsi que j’ai fait avec ces morceaux tirés du patrimoine haïtien. Twa Fey (trois feuilles) l’illustre bien. C’est une chanson ancienne du folklore haïtien. Je me suis imaginé que les gens participaient à une cérémonie (et la chanson parle en effet de ça…). « Trois feuilles, trois racines ».
En revenant sur le chemin parcouru par Mélissa Laveaux, on comprend que les racines peuvent libérer, quand on ne veut pas en rester prisonnier. Pour Mélissa, Haïti était comme cette voix sortie d’une radio dont le signal se brouille avant de revenir, ne livrant à l’auditeur que quelques mots, lui laissant, la liberté d’inventer ceux qui manquent. Voilà sans doute ce qui donne toute sa puissance à Radyo Siwel, album à la fois « racine » et pop, chargé des trésors d’une histoire collective et de ceux d’une histoire singulière : celle de l’artiste. À la fois sombre et solaire, politique et parfois même espiègle – comme le sont ces vieilles chansons qui moquent les oppresseurs (américains) ou évoquent des extases sexuelles que des métaphores gourmandes voilent à peine. Mélissa Laveaux y rencontre Haïti, et s’y découvre elle-même.
Retrouvez Mélissa Laveaux en concert le 8 mars à Paris, Les Étoiles